Coffi Fiacre Nouwadjro : « Si nous ne traitons pas la question de l’hygiène et de l’assainissement de base au même titre que l’eau potable, on risque de passer à côté »


A l’instar de plusieurs pays dans le monde, le Bénin s’est engagé dans le cadre des Objectifs du Développement Durable (ODD6) à finir avec la Défécation à l’air libre. Alors que le sous-secteur à l’eau potable bénéficie d’une attention soutenue du gouvernement se traduisant par d’importants investissements pour assurer à tous l’accès d’ici 2021, le sous-secteur Hygiène et Assainissement de Base (HAB) reste encore à la traîne. Pour alerter l’opinion nationale et lancer un vibrant appel aux décideurs pour plus d’engagement, le Cadre de Concertation des Acteurs Non Étatiques de l’Eau et de l’Assainissement (CANEA) avec le soutien de la Maison de la société civile, a initié une campagne de communication pour la priorisation du sous-secteur dans l’agenda national de développement. Dans cet entretien, le Chargé de programme de la Maison de la société civile revient sur l’importance de ce sous-secteur et la nécessité d’agir plus vite pour l’atteinte des ODD.



Le Bénin a raté le rendez-vous des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) dans le sous-secteur de l’hygiène et de l’assainissement de base. Aujourd’hui, on est passé aux Objectifs de développement durable plus ambitieux qui prévoient la fin de la défécation à l’air libre. Face à la situation que connait le sous-secteur HAB, est-ce que le Bénin a des chances d’atteindre cet objectif-là d’ici 2030?
Je pense qu’il y a des craintes. Parce que les signaux qui doivent nous permettre de voir le Bénin atteindre cet objectif dans ce sous-secteur ne sont pas bons. La situation s’est dégradée en termes de prise en charge de ce sous-secteur. Déjà, avec les OMD, on avait même  espéré avoir un ministère dédié à l’hygiène et à l’assainissement. Il le fallait pour prendre véritablement en main ce sous-secteur et trouver des solutions appropriées pour que dans le temps, on puisse atteindre les objectifs. Ce n’est pas le cas malheureusement. Ce qu’on ne perçoit pas, c’est que ou les comportements des populations en matière d’hygiène et d’assainissement impactent tous les autres domaines de leur vie. Un cadre de vie qui n’est pas assaini peut amener quelqu’un à tomber malade, à utiliser ses ressources. En recherchant une meilleure qualité de vie pour les populations comme on le fait dans le sous-secteur de l’eau potable, on devrait investir autant dans l’hygiène et de l’assainissement, sans quoi, les investissements réalisés de l’autre côté ne seront pas visibles. Puisque le citoyen ne sait pas comment manipuler cette eau potable, il ne sait pas comment utiliser cette eau et l’environnement dans lequel cette eau-là est puisée, transportée, stockée. Cela relève de l’hygiène. Dans beaucoup de milieux encore, il y a la défécation à l’air libre et ce sont toutes ces situations qui créent des nuisances aux communautés. Si nous ne traitons pas la question de l’hygiène et de l’assainissement au même titre que la question de l’eau potable, l’énergie, le paludisme, le Vih/sida, l’environnement, on risque bien de passer à côté.
On a vu la Maison de la société civile mobiliser beaucoup d’Organisation de la société civile (Osc) pour suivre la mise en œuvre des ODD. Tout cela concourt-il à éveiller la conscience de nos gouvernants sur les enjeux ?  

L’Agenda 2030 engage tout le monde. Je partirai de deux principes fondamentaux de cet agenda. Si le premier dit « Ne laisser personne de côté », les gouvernants ont l’obligation de ne laisser aucun citoyen de côté dans la mise en œuvre, de les associer en même temps que les citoyens également doivent prendre leur part de responsabilité. Il y a aussi la responsabilité partagée qui est également un des principes de la mise en œuvre de cet agenda. La Maison de la société civile favorise l’appropriation par les Osc, des 17 objectifs et travaille à faire connaître aux Osc, le contenu de cet agenda afin que chaque organisation focalise son action sur l’avancée du pays dans l’atteinte de ces objectifs. Donc, nous facilitons le renforcement de capacités, l’appropriation par les Osc, mais aussi leur suivi de l’action du gouvernement en matière de la mise en œuvre de l’Agenda 2030. L’objectif 6 de cet agenda parle clairement de l’eau propre et de l’assainissement : garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable.   Il s’agit pour nous, d’ici à 2030, de voir la proportion de la population utilisant des services d’assainissement gérés en toute sécurité, notamment des équipements pour se laver les mains avec de l’eau et du savon. Ça veut dire que c’est un changement de comportement qui doit s’opérer. Pour le moment, on peut remarquer qu’il y a plusieurs ménages qui ne disposent pas d’ouvrages d’assainissement; ensuite, le lavage des mains n’est pas encore dans les pratiques des Béninois. Même dans les ministères, c’est à la faveur de la crise d’Ebola qu’on a installé des lave-mains par endroits et dès que les premiers produits pour se désinfecter sont terminés, on n’a même pas été capables de les remplacer. C’est déjà de cela qu’il s’agit en termes d’engagement. En accompagnant les Organisations de la société civile, nous voulons les amener à prendre conscience et à jouer leur partition aux côtés du gouvernement afin que les actions que les organisations déploient soient en cohérence avec cette volonté internationale d’atteindre un objectif en matière d’hygiène et d’assainissement. Mais, il faut aussi faire en sorte que les citoyens puissent suivre l‘action du gouvernement. Certes, la question de l’assainissement n’est pas une priorité dans le Programme d’actions du gouvernement, mais les citoyens peuvent travailler à faire de cette préoccupation une priorité, et c’est ce que nous faisons à la Maison de la société civile. Je rappelle que notre vision c’est de contribuer à instaurer une société à travers laquelle les acteurs non étatiques, les Osc notamment, participent à des processus de dialogue avec l’Etat pour la définition, la mise en œuvre et le suivi des programmes et politiques de développement au Bénin.

Qu’est-ce qui motive le partenariat entre la Maison de la société civile et la Cadre de Concertation des acteurs non étatiques de l’eau et de l’assainissement (Canea) ?

Comme je l’ai mentionné, l’objectif de la Maison de la société civile est de voir des organisations aptes, capables de mener le dialogue politique pour transformer la société et permettre aux communautés, de jouir de bonnes conditions de vie, également de bonnes conditions économiques. Et précisément, dans le cadre des Odd, certes nous renforçons les capacités des Osc, mais nous ne voulons pas rester à l’étape de la théorie. On veut que cela se concrétise en actions. La Maison de la société civile ne fait pas à la place des Osc ; elle donne les moyens et les outils pour faire et lorsqu’il y a des acteurs pertinents sur le terrain qui développent déjà des initiatives dans un secteur précis, on accompagne. Ce que nous faisons avec le Canea rentre dans le cadre de notre plan stratégique. Cela part des initiatives sectorielles que nous finançons avec le soutien de l’Union Européenne. Il s’agit d’accompagner le Canea qui, pour nous, est une plateforme d’organisations de personnes-ressources intéressées ou s’impliquant dans les questions d’eau et d’assainissement, à atteindre les objectifs dans le secteur. C’est vrai que les ressources sont limitées, mais il faut déjà réaliser des actions. De petites actions mises ensemble peuvent permettre de relever les défis.  Notre rôle c’est d’accompagner le Canea afin que son action puisse changer déjà une partie de la communauté en termes d’attitudes, de connaissances, vis-à-vis de la chose publique et de comportement à adopter en parlant d’hygiène. Cela pourra nous permettre de sauver la vie de quelques enfants et quelques femmes. Pour être plus précis, l’action du Canea nous permet de mettre en place quelques dispositifs de lave-mains au profit des enfants des écoles. Il faudrait apprendre aux apprenants à les utiliser et les sensibiliser. Ce qui est intéressant ici, c’est que le Canea regroupe différentes composantes d’Osc, des journalistes, des Ong, des  plateformes, donc différents types d’acteurs qui animent la société civile et c’est en cela que c’est intéressant. Il faudrait accompagner ce dispositif à faire davantage, mais inviter également le gouvernement à faire du sous-secteur de l’hygiène et de l’assainissement de base, une priorité.  Le citoyen qui n’a pas appris à s’approprier les bonnes pratiques en matière d’hygiène et d’assainissement ne pourra pas utiliser les bancs publics qu’on fera, et par conséquent les routes asphaltées. Tout commence par l’hygiène, et l’éducation à la citoyenneté sur les questions d’hygiène et d’assainissement est primordiale. Certes, les autres aspects sont prioritaires, mais c’est une chaîne et il faudra en tenir compte si on veut atteindre les résultats.
Propos recueillis par Alain TOSSOUNON
Originaire du Bénin en Afrique de l’ouest, Alain TOSSOUNON est journaliste depuis plus d’une quinzaine d’années. Rédacteur en Chef puis Directeur de rédaction de l’hebdomadaire spécialisé dans la décentralisation et la gouvernance locale « Le Municipal », il a suivi et validé plusieurs certificats en gestion des ressources naturelles (Université Senghor d’Alexandrie) et en eau avant de passer grand reporter sur les thématiques de l’eau, l’hygiène et l’assainissement de base et l’environnement.
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