Gestion des boues de vidange au Bénin : Une filière en pleine réorganisation, des opérateurs privés inquiets

Face à la prédominance des ouvrages d’assainissement autonome dans la quasi-totalité de ménages dans les villes du Grand Nokoué, le développement d’une filière de gestion des boues de vidange était devenu indispensable pour assainir le cadre de vie des populations. Mais, la modernisation de la filière engagée par le gouvernement avec la réalisation de nouvelles stations de traitement et la réorganisation décrétée, ne manque pas de susciter des remous dans le rang des opérateurs privés qui ont longtemps évolué dans l’informel avec des moyens modestes.

Dans les grandes villes du Bénin, la gestion des boues de vidange est loin d’être professionnalisée. Les ménages comme les opérateurs privés qui se sont lancés dans cette aventure depuis plusieurs années, ne cessent de se plaindre.  Déjà, vidanger sa fosse lorsqu’elle est pleine, n’est pas la chose la mieux partagée de tous les habitants. « Dans les ménages, les latrines sont pleines mais ils ne vidangent pas », se désole Daniel, un chef de ménage à Dèkoungbé dans la commune d’Abomey-Calavi.

Pour les ménages qui fournissent des efforts pour vidanger leurs fosses, le service n’est pas satisfaisant. « Très souvent, lorsque le camion vient vider la fosse, vous n’arrivez pas à respirer et il vous laisse des restes », signale Daniel. A Ayélawadjè, plus loin dans le 3e arrondissement de la ville de Cotonou, les plaintes contre les opérateurs privés fusent de partout. « La vidange est faite à moitié, plusieurs ménages qui sortent l’argent sont déçus. Les vidangeurs nous grugent », ajoute-t-il. Pour le chef quartier de Sèkandji, Benoît, Saizonou, « les structures de vidange, essaient de faire quelque chose. Les populations éprouvent des difficultés. Le coût est élevé et il n’y a pas de propreté ».

En effet, dans les grandes villes du Grand Nokoué, à défaut d’un assainissement collectif, les ménages disposent dans leur quasi-totalité, d’ouvrages d’assainissement autonome même si le taux d’accès reste encore faible. Selon l’Enquête démographique de santé au Bénin (EDSB-V) 2017-2018, seulement 22% des populations en milieu urbain utilisent des installations sanitaires améliorées reliées à une fosse septique. Dans ces grandes villes longtemps restées sans stations de traitement, la gestion des boues de vidange n’a jamais été une réalité. Car, la seule station privée installée à Ekpè dans la commune de Sèmè-Podji, avant la réalisation et la mise en service de nouvelles stations en 2021, a subi l’érosion côtière et ses bassins ont été emportées par la furie des eaux. Cette station exploitée durant plusieurs années par la société SIBEAU, avait connu un niveau de saturation parce qu’elle recevait jusqu’à trois fois plus que sa capacité.  Les temps de séjour des boues n’étaient pas respectés dans les bassins de lagunages et les taux en sortie en DBO (Demande Biochimique en Oxygène) et DCO (Demande Chimique en Oxygène) ne respectaient pas les normes requises.

C’est dans ces conditions que les vidangeurs ont depuis plusieurs décennies, opérer pour débarrasser les villes de leurs boues avec souvent, des comportements des ménages qui ne leur rendent pas la tâche facile. « Il y a un mauvais usage des latrines qui sont devenues des réceptacles de tous les types de déchets. En plus, il y a une concurrence déloyale entre nous en matière de fixation de prix et nous avons des difficultés à renouveler nos camions qui sont pour la plupart vétustes », souligne Albert Dossou Clotoé, Président de l’Association des Vidangeurs Professionnels du Bénin (AVIPRO). Ainsi, les opérateurs privés disposent d’un parc automobile vétuste et manquent de capacités techniques et managériales pour bien gérer ces entreprises. A cela, il faut ajouter des difficultés d’accès au financement pour renouveler leurs équipements. Depuis que cette situation dure, avec une filière peu organisée et des ménages qui rechignent à vider régulièrement leurs fosses, les boues de vidange se retrouvaient le plus souvent dans la nature, les cours et plans d’eau ou dans les caniveaux.  

Pourtant, le rejet sans traitement des boues de vidange a des conséquences graves sur l’environnement et la santé.  « L’exposition aux boues de vidange peuvent provoquer des maladies du péril fécal comme le choléra, la fièvre typhoïde…, explique l’environnementaliste-écotoxicologue, Dr Christiane Kougblénou. Pour éviter ces maladies, conseille-t-elle, les ménages devraient prendre des mesures en entretenant bien les latrines et en assurant la vidange chaque fois que les fosses sont pleines. Mais on n’en est pas encore là.

Une modernisation pas sans craintes

Dans sa volonté de moderniser la gestion des boues de vidange, le gouvernement a dans un premier temps, réalisé et doté les communes du Grand Nokoué, de deux stations de traitement, l’une dans la commune d’Abomey-Calavi d’une capacité de 600m3/jour et l’autre dans celle de Sèmè-Podji, d’une capacité de 506 m3/j extensible à 755 m3/j.  A travers le projet de modernisation, le gouvernement ambitionne l’amélioration des conditions socio-sanitaires et environnementales des ménages. Ceci passe par l’amélioration du service de collecte des boues de vidange et son accessibilité à tous les ménages et la collecte, le traitement et la valorisation des boues de vidange dans les stations selon les procédés respectueux de l’environnement. Pour y arriver, au cours du conseil des ministres du 16 novembre 2022, le gouvernement a annoncé la mise en affermage des stations pour le compte de la Société de Gestion des Déchets et de la Salubrité (SGDS-SA) désormais chargée de leur gestion.

Depuis, la SGDS-SA créée en 2018 qui en plus de la gestion des déchets solides ménagers dans le Grand Nokoué, doit dorénavant s’occuper de la gestion des eaux usées, s’est engagée dans une réforme visant à mieux organiser la filière. Conformément à la Stratégie nationale des eaux usées en milieux urbain et péri-urbain 2018-2030 dont l’objectif est de structurer et développer la chaîne de production des services d’assainissement, elle a commencé avec le lancement d’une opération conduisant à l’attribution d’agrément pour exercer l’activité de vidange. Un processus lancé depuis quelques mois qui a permis, le recensement des structures qui existent et qui sont fonctionnelles dans le Grand nokoué.

Bien que jugées salutaires par les opérateurs privés qui, depuis peu, bénéficient de l’accompagnement de certains partenaires dans le cadre de projets SSD et MuniWASH financés par l’USAID pour une meilleure structuration de leur association et pour renforcer leurs capacités, les réformes engagées suscitent des craintes et inquiétudes. « Nous sommes heureux de l’avènement des réformes qui nous permettront d’assainir le secteur à travers la formalisation mais la SGDS doit nous accompagner », souligne le président Albert Dossou Clotoél. Et déjà, nous informe-t-il, les réformes ont conduit les opérateurs privés à passer de simples structures aux sociétés bien constituées pour faire la demande d’agrément. Malgré tout, il soutient que certains critères dont celui relatif à l’état des camions est difficile à remplir par tous les opérateurs. « Nos camions datent d’au moins 20 à 50 ans parce que nous avons toujours eu des difficultés à les renouveler à cause du manque de financement », se désole-t-il. En dehors de cette difficulté importante, ces opérateurs sont confrontés à la disponibilité des pièces de rechange, au prix élevé de la taxe de dépotage et à la fixation anarchique du prix de la vidange. Si la SGDS-SA se dit préoccupée par ces difficultés, elle attend les résultats de plusieurs études lancées pour décider des différents coûts et taxes à appliquer à la collecte et au transport. Aujourd’hui, si avec le maillon collecte et transport, les réformes en cours permettront d’assainir la filière, au niveau du confinement qui constitue le premier maillon de la chaîne de l’assainissement, le défi reste entier. « Aujourd’hui vous n’êtes pas sans savoir que n’importe qui se lève pour construire n’importe comment les ouvrages sans respecter les normes », reconnait le chef service des eaux usées et boues de vidange de la SGDS-SA, Darius Babalola.

Face à cette situation, la SGDS-SA dit aussi s’attaquer dans les prochaines semaines à ce maillon avec l’appui des partenaires comme la GIZ. Déjà, une étude a été lancée pour qu’à terme, elle dispose de différents types d’ouvrages adaptés à chaque contexte socioculturel et environnemental. Mais pour l’heure, malgré l’avènement de la loi portant hygiène publique qui oblige chaque propriétaire de maison à construire des latrines aux normes afin de faciliter la vidange des fosses et d’avoir des boues susceptibles d’être valorisées, on est encore loin du compte.  En attendant, les opérateurs privés qui pendant longtemps, ont joué un rôle important dans cette filière, espèrent continuer à avoir leur place dans la réorganisation de la filière en cours et un accompagnement conséquent pour la professionnalisation de leur métier.

Darius Babalola, Chef service eaux usées et boues de vidange à la SGDS-SA sur les réformes en cours : « On travaille à mettre en place des facilités de financement pour les opérateurs privés »

Avec les villes du Grand Nokoué qui connaissent une forte croissance urbaine, la modernisation de la gestion des boues de vidange est indispensable. Dans cet entretien, le chef service eaux usées et boues de vidange de la SGDS-SA lève un coin de voile sur le contenu des réformes devant conduire à la réorganisation de la filière pour une prise en charge complète de la chaîne de l’assainissement.

Le processus de réorganisation des opérateurs privés a été lancé avec l’appel à candidatures pour la délivrance des agréments. A quel niveau du processus sommes-nous et à quoi doit s’attendre les opérateurs privés ?

Nous sommes effectivement en plein dans le processus et il y a un certain nombre d’actions. Le processus a commencé avec la transmission au ministère du cadre de vie pour appréciation et validation, des dossiers soumis suivant les critères qui ont été retenus. En plus du processus de sélection, il y a le projet d’arrêté de délivrance d’agrément qui a été soumis et validé par le ministère.

Ensuite, on a fait une séance avec les opérateurs de vidange pour les informer de la procédure en cours et les conditions de délivrance, donc la liste des documents à fournir pour la délivrance. Nous sommes actuellement à la phase 2 qui est la visite d’inspection des équipements et matériels de travail des opérateurs.

Enfin, on va faire un point d’étape au ministre qui va décider avec des recommandations de la délivrance de l’agrément parce que l’agrément est signé par le ministre. Donc, on est presque à la fin du processus.

Avec les actions de modernisation de la filière en cours, est-ce-que vous prévoyez un accompagnement de ces opérateurs pour une vidange sécurisée et hygiénique pour ne pas exposer les ménages à toutes formes de risques ?

Cela fait partie du plan global pour la réorganisation de cette filière. Il y a le projet MuniWASH qui nous accompagne. On a un certain nombre de partenaires qui travaillent à mettre en place des dispositifs qui permettront aux opérateurs, d’avoir accès à des fonds pour renouveler leurs matériels. Car, parmi les critères que les opérateurs privés doivent remplir, il y a un critère technique qui concerne les camions. Dans la plupart des cas, nous avons constaté que les camions sont vétustes et il faut les remplacer, donc c’est un sérieux problème. On n’a pas de financement à l’interne pour l’instant mais avec les partenaires, on travaille à mettre en place des facilités de financement pour ces opérateurs.Mais, avant d’en arriver là, la première chose à faire, c’est de savoir ceux qui veulent effectivement travailler dans le secteur parce qu’ils ne sont pas tous partis pour être retenus. Il faut qu’ils fassent un certain nombre d’efforts pour qu’on puisse les accompagner. Donc, à travers le processus de réorganisation, lorsqu’on va identifier un certain nombre de vidangeurs qui sont sérieux et veulent prospérer, on pourra par la suite les aider à acquérir du financement.

On travaille aussi à la formation de ces opérateurs. Il est prévu une série de sessions de formation pour renforcer les capacités des opérateurs de vidange qui seront agréés. Ils seront formés sur les pratiques à observer pour la vidange hygiénique et sécurisée et aussi sur les questions de santé et de sécurité au travail.  Les opérateurs privés travaillent dans des conditions vraiment difficiles et pour cela, on prévoit un accompagnement dans notre plan de travail 2024.        

Originaire du Bénin en Afrique de l’ouest, Alain TOSSOUNON est journaliste depuis plus d’une quinzaine d’années. Rédacteur en Chef puis Directeur de rédaction de l’hebdomadaire spécialisé dans la décentralisation et la gouvernance locale « Le Municipal », il a suivi et validé plusieurs certificats en gestion des ressources naturelles (Université Senghor d’Alexandrie) et en eau avant de passer grand reporter sur les thématiques de l’eau, l’hygiène et l’assainissement de base et l’environnement.
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