Nangbéto : Quand la source d’énergie devient source de malheurs

Réalisé pour induire un impact économique durable avec la fourniture de l’énergie, le barrage hydroélectrique de Nangbeto sur le fleuve Mono est vraisemblablement un désastre pour les communautés de Grand-Popo et d’Athiémé. Avec chaque année, des inondations inattendues aux conséquences dramatiques dans des communes aux budgets médiocres, le cri d’alarme des autorités locales n’est toujours pas entendu.

Jadis phénomène naturel cyclique, les inondations sont devenues le lot quotidien des populations des communes de Grand-Popo et d’Athiémé après l’érection du barrage de Nangbéto. Aujourd’hui, l’avènement de cet ouvrage semble ni plus ni moins un mauvais sort jeté sur ces communautés condamnées à subir la colère des eaux.
En 2007, selon les estimations du chef du service Développement local de la mairie de Grand-Popo, les inondations qui ont duré exceptionnellement 60 jours ont fait deux morts, six blessés et d’énormes dégâts matériels. 12 839 habitants de la commune se sont retrouvés sans abris, 3 337 ha de cultures agricoles ont été détruits ou emportés et 1 918 animaux ont été décimés. Au niveau des infrastructures, les dommages sont tout aussi importants : 2 009 cases ont été démolies et 13 salles de classe endommagées.
A l’origine de ce drame : le barrage Nangbéto. Les lâchées d’eau qui font la fierté d’une frange de la population togolaise et béninoise avec ses 140 GWH de production annuelle constituent un véritable calvaire pour d’autres.
En effet, situé à une centaine de kilomètres de Cotonou, cet ouvrage est installé sur le fleuve Mono qui prend sa source au Togo et se jette dans la mer, au Bénin, à Grand Popo. Le Mono forme la frontière naturelle entre les deux pays sur plus de 80 km.
Ainsi, déjà éprouvées par les inondations cycliques, les lâchées d’eau du barrage ne constituent nullement un salut pour Grand-Popo et Athiémé dont les autorités ne cessent de lancer des cris d’alarme. « Nous ne tirons aucun bénéfice du barrage. Ces lâchées d’eau ne nous laissent que des effets nocifs », martèle le maire de Grand-Popo dont la commune, vaste de 289 km², est inondable naturellement sur 62% de ses terres. Aujourd’hui, comme le témoigne son homologue d’Athiémé, « le barrage est venu accentuer la crue », laissant derrière lui un cortège de dégâts chaque année.
Pour le chef du service Développement local de Grand-Popo, depuis 1988, un an après la mise en service du barrage, les lâchées d’eaux opérées par la Communauté Electrique du Bénin (CEB), société mixe de gestion du barrage, les crues devenues régulières provoquent des inondations renforcées. Ces inondations se sont manifestées en vraie grandeur courant août, septembre et octobre des années 1991, 1995, 1999, 2003, 2006, 2007 et 2008, ajoute-il.
A Athiémé où aucun exercice d’évaluation n’a été fait jusque-là, selon le témoignage du maire, plusieurs localités sont menacées de disparition. C’est le cas des villages de Akplo,Tokpamè, Anoukoui dans l’arrondissement d’Atchannou ou de Ahiwédji dans l’arrondissement d’Athiémé…Les villages situés sur les 40 km le long du fleuve Mono n’ont plus qu’une durée de vie comptée.

Les communautés dans le désarroi

Face à l’ampleur des inondations avec leur lot de dégâts chaque année, les autorités locales sont dans le désarroi et restent jusque-là impuissantes. Car, pour des communes dont les budgets ne font que 500 millions, les autorités locales ne peuvent aucunement y faire face. « Il nous faut des investissements lourds et nous n’avons pas d’argent, se désole le maire d’Athiémé. Le programme intégré des ressources en eau, élaboré comme réponse à l’évasion de l’eau par la mairie de Grand-Popo et qui peine à avoir l’assentiment des communes victimes, est loin d’être une panacée.
Ainsi, incapables de voler au secours des communautés, les autorités locales désabusées ne cessent d’interpeller les autorités centrales. Un appel qui, jusque-là, ne semble pas être entendu par celles par qui le malheur du barrage est survenu. En tout état de cause, les communautés, comme les précédentes années, continuent de vivre leur calvaire au bord d’un fleuve qui, quelques années auparavant, faisait leur prospérité.
Le conseiller Joseph Amavi, Midjressou de la commune d’Athiémé, se souvient comme si c’était hier : « avant Nangbéto, Athiémé était une commune reluisante où l’agriculture du palmier à huile était une activité florissante ». Chaque fois que les inondations surgissent, les cultures ne sont guère épargnées. Alors qu’il ne voit transparaître aucun espoir, le dialogue étant au point mort entre la communauté électrique du Bénin et les populations des deux rives du fleuve, il ne manque pas d’exprimer de vives inquiétudes face au projet de construction d’un autre barrage appelé « Adjarrala ».
Pour l’heure, les communautés qui vivent dans la hantise des prochaines inondations sont toujours laissées à elles-mêmes. Et même si l’aménagement ou la viabilisation du fleuve est inscrit dans le programme du gouvernement, elles ne fondent aucun espoir de voir la vie s’améliorer. A cause de Nangbéto, la vie s’est arrêtée à Grand-Popo et à Athiémé. La source d’énergie est loin d’être une source de progrès pour ces communautés qui continuent de vivre dans l’obscurité.

Originaire du Bénin en Afrique de l’ouest, Alain TOSSOUNON est journaliste depuis plus d’une quinzaine d’années. Rédacteur en Chef puis Directeur de rédaction de l’hebdomadaire spécialisé dans la décentralisation et la gouvernance locale « Le Municipal », il a suivi et validé plusieurs certificats en gestion des ressources naturelles (Université Senghor d’Alexandrie) et en eau avant de passer grand reporter sur les thématiques de l’eau, l’hygiène et l’assainissement de base et l’environnement.
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