LADJI, Bénin – Dans plusieurs quartiers de villes et villages du Bénin, l’hygiène et l’assainissement de base sont encore un luxe pour de nombreuses populations qui défèquent dans la nature.
Les conséquences de cette pratique sur la santé de ces populations, qui sont condamnées à payer un lourd tribut pour se soigner, sont énormes.
Et pendant que les signaux sont au vert quant à l’engagement du gouvernement pour l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) dans le sous-secteur de l’approvisionnement en eau potable, ce grâce à une mobilisation record de plusieurs milliards de francs CFA, celui de l’hygiène et de l’assainissement de base ne bénéficie pas encore du même investissement.
Conséquences mortelles sur la santé
Tingnivou NOUVOESSI revendeuse de poissons. ©WSSCC/Alain Tossounon
À Ladji, l’un des quartiers situés dans le 6e arrondissement de la plus grande ville du Bénin, l’accès de tous les ménages aux toilettes est un rêve.
À quelques encablures de la voie pavée traversant le quartier Sainte Cécile, le passage devient de plus en plus étroit. Au fur et à mesure qu’on avance en contournant les flaques d’eau créées par les récentes pluies, on se retrouve sur une vaste étendue d’habitats précaires.
Entre les déchets ménagers posés çà et là, partout et autour des habitats coincés les uns contre les autres, des enfants jouent le long des petites ruelles jonchées de restes d’aliments et de sachets plastiques. Non loin, d’autres tentent vaille que vaille de se frayer un espace dans un dépotoir sauvage pour déféquer sous le regard bienveillant de leurs parents spectateurs.
Ici, on s’accommode de la défécation à l’air libre ou sous l’eau. Et, sans qu’on lui pose la question, M. Damien Missihoun, un habitant du quartier, justifie le comportement des enfants : « A Ladji, nous avons le problème de manque de latrines. Ici, des gens défèquent dans des sachets et les jettent partout parce qu’ils ne savent où aller ».
Honoré NOUVOESSI pêcheur à la retraite. ©WSSCC/Alain Tossounon
« Quand il m’arrive d’avoir envie de chier la nuit, moi également, je n’ose pas sortir. Je le fais dans un sachet que je mets dans un pot et au petit matin, je vais verser ça dans le lac », raconte Mme Marcelline Hounvo, la quarantaine, revendeuse au marché Dantokpa avec une pointe d’amertume.
« L’état de ce quartier est déplorable », se désole M. Honoré Nouvoessi, un pêcheur de 70 ans assis devant la porte de sa chambre.
Dans ce quartier assimilable à un bidonville, les populations vivent encore en collectivité avec 10 à 15 familles. Pour chaque habitation, disposer d’une toilette est tout simplement un luxe.
En dehors des rares latrines individuelles, on dénombre seulement trois latrines communautaires pas toujours fonctionnelles en période d’inondations pour les 100 000 habitants de ce quartier.
Dans ces conditions, la défécation à l’air libre ne peut qu’être le sport favori de la localité. Le drame de Ladji se joue aux yeux de tous restés impuissants face à l’absence d’un système efficace de ramassage des ordures, au manque d’accès aux toilettes et à l’adoption de bonnes pratiques d’hygiène et d’assainissement.
Les conséquences sur le plan sanitaire sont parfois dramatiques. « C’est le paludisme qui nous attaque très souvent. À part cela, il y a les diarrhées et les vomissements ainsi que d’autres maladies pour lesquelles nous allons à l’hôpital », nous signale M. Claude Dohougbo, pêcheur de son état, qui, le visage triste et larmoyant, raconte avoir perdu l’un de ses huit enfants à la suite d’une diarrhée chronique.
Il n’est pas le seul à avoir vécu la tragédie. « J’ai perdu 13 enfants successivement en bas âge. Mes enfants en ont perdu à leur tour dix. Je n’ai pas eu les moyens de les sauver. Les coûts des soins sont exorbitants. Je n’arrivais pas à y faire face », signale tristement le vieux Honoré Nouvoessi.
Ces populations cohabitent quotidiennement avec la mort et les maladies du péril fécal. À Ladji, le péril est dans tous les ménages confirme le Docteur Théophile Hounhouédo, médecin en santé publique, directeur exécutif de La vie nouvelle ONG en charge d’un centre médico-social en plein cœur du quartier. Mais malheureusement au Bénin, Ladji n’est pas un cas isolé.
Une prise de conscience encore faible
À l’instar des populations de Ladji dans la ville de Cotonou, celles de plusieurs quartiers et villages des communes du Bénin pratiquent encore la défécation à l’air libre.
Selon l’Enquête démographique de la santé du Bénin (EDSB), 87 % des ménages au Bénin continuaient toujours en 2017 d’utiliser des installations sanitaires considérées comme non améliorées, et seulement 21 % utilisaient des toilettes partagées. Plus d’un ménage sur deux (54 %) n’utilise pas de toilettes, et seulement 20 % des ménages utilisent des toilettes améliorées.
La défécation à l’air libre (DAL) est encore pratiquée par 53 % de la population béninoise selon le rapport du Programme commun de suivi de l’approvisionnement en eau, de l’assainissement et d’hygiène (JMP).
Si dans le cas du bidonville de Ladji, la disponibilité de l’espace complexifie la situation, le lotissement n’étant jamais allé jusqu’à son terme. Le Docteur Théophile Hounhouédo soutient que la pauvreté qui sévit est l’une des causes du mal.
« Le coût de construction des latrines dépasse les capacités des populations », souligne-t-il, avant d’ajouter leur méconnaissance à propos des liens entre leur situation de manque d’assainissement et les maladies auxquelles elles sont exposées.
Pourtant selon Mme Flore Viviane Ogoubiyi Aklassato, ex-directrice départementale de la santé de l’Atlantique/Littoral (DDS), les liens entre l’insalubrité et les maladies du péril fécal sont étroits : « Lorsque l’hygiène et l’assainissement font défaut et partout où il y a insalubrité, cela constitue un sérieux problème de santé pour les populations ».
Pour venir à bout de cette situation à Ladji et partout ailleurs au Bénin, le Docteur Théophile Hounhouedo, préconise comme solution efficace, la prévention.
« La première chose qu’on peut faire, c’est la prévention. Si nous mettons l’accent sur la prévention, on peut corriger beaucoup de choses ». Il faut aussi envisager, « un bon programme d’éducation à la santé ». Un avis partagé par Mme Flore Viviane O. Aklassato qui martèle : « il faut intensifier l’éducation de la population, la communication pour un changement de comportements ».
Une marche à pas de caméléon
Séance Café Média WASH entre la DNSP la coalition WASH et les acteurs des médias. ©WSSCC/Alain Tossounon
Face à la situation et aux engagements pris dans le cadre des Objectifs de développement durable (ODD) notamment l’ODD6.2, les efforts du pays sont encore insuffisants.
En termes d’actions, on retient essentiellement, selon le chef du Service d’hygiène et d’assainissement de base à la Direction nationale de la santé publique (DNSP) du Ministère de la Santé, la mise à jour en 2018 de la Stratégie nationale de promotion de l’hygiène et de l’assainissement de base (SNPHAB) en milieu rural visant à l’arrimer aux ODD et la formulation de la SNPHAB dans les milieux urbains et péri urbains qui n’en disposaient pas. Mais les deux stratégies attendent toujours d’être adoptées par le gouvernement.
Il faut signaler aussi la construction de deux stations de traitement de boues de vidange, l’une dans la commune de Sèmè-Podji dans le cadre du Projet d’approvisionnement en eau potable et d’assainissement des eaux usées urbaines (PEPRAU) à partir d’un financement de la Banque mondiale, et l’autre, dans la commune d’Abomey-Calavi soutenue financièrement par la KFW (République fédérale d’Allemagne).
C’est surtout en milieu rural, où 75 % de la population pratiquent encore la défécation à l’air libre, que les efforts sont visibles à travers les actions des différents projets et programmes.
Ainsi, grâce à ces projets et programmes, le Bénin a pu sortir près de 7 000 localités de la défécation à l’air libre, dont 4 617 localités certifiées FDAL (fin de la défécation à l’air libre) à fin octobre 2019, pour le Programme d’amélioration de l’accès à l’assainissement et des pratiques d’hygiène en milieu rural (PAPHyR) soutenu par le Fonds mondial pour l’assainissement du WSSCC.
Sur un total de 77 communes sur le plan national, seulement 30 communes sont couvertes par les différents projets et programmes. Également, le financement du sous-secteur reste encore faible avec une contribution du budget national aux investissements qui ne dépasse pas 200 millions de francs CFA par an depuis plusieurs années.
De plus, la prise en compte des personnes vulnérables (enfants, jeunes filles et femmes) et marginalisées comme les pauvres et les personnes handicapées et âgées recommandées par l’ODD 6.2 n’est pas encore effective dans les différentes interventions. À ce jour, aucune étude de référence n’existe sur le plan national pour faciliter l’intégration du principe d’égalité et de non-discrimination.
Le centre médico-social à but humanitaire de l’ONG Vie nouvelle. ©WSSCC/Alain Tossounon
Pour les acteurs de la société civile, face aux défis que connaît le sous-secteur, parmi lesquels on relève le faible intérêt doublé du manque de priorisation et de financement, les efforts sont insuffisants.
Mme Blanche Blackassi, chargée de la gestion des connaissances et de la communication à l’ONG internationale belge Join for Water, indique que pour l’hygiène et l’assainissement, « il y a encore énormément de travail à faire ».
Et sur ce point, M. Félix Adégnika, le coordonnateur national du WSSCC, invite à un changement de paradigme pour renverser la tendance. « Il faut penser autant à l’assainissement qu’on pense à l’approvisionnement en eau potable, qui bénéficie d’un financement record de plus de 300 milliards de francs CFA. Ce changement de paradigme passera obligatoirement par une prise de conscience : faire advenir l’organisation des états généraux de l’HAB voulue par tous les acteurs, ainsi qu’une mobilisation de ceux-ci à tous les niveaux pour garantir le financement. »