Chaque année, les centres de santé et les hôpitaux enregistrent le plus fort taux de cas de paludisme simple et grave en saison pluvieuse. Une situation liée au faible assainissement du cadre de vie dans nos villes et contrées reculées.
« Le paludisme sévit tout le long de l’année dans notre pays. Il arrive des périodes où on observe des pics. Ces périodes s’étalent du mois d’avril jusqu’au mois de septembre », nous déclare sans détour le médecin-chef du Centre de santé de Godomey dans la commune d’Abomey-Calavi au sud du Bénin, Samuel Guido. Avançant la raison principale de ces périodes de pic que l’on observe chaque année, il pointe du doigt la saison pluvieuse. « Les moustiques se développent dans des marécages, dans des marais, des eaux stagnantes. On observe dans la plupart des rues à Cotonou et dans ses environs, des endroits où l’eau stagne pendant 5 voire 10 jours. C’est à ces endroits que les moustiques se développent le plus. Les larves se développent à la surface de ces eaux qui stagnent pendant plusieurs jours », explique-t-il. En zone rurale, le constat est le même. « Lorsque nous observons nos communautés, surtout en période de pluie, on peut aisément s’en rendre compte. On observe aux alentours des maisons, de mauvaises herbes qui poussent, des objets creux qui retiennent de l’eau comme les boîtes de conserve, les pneus. Ils sont généralement jetés un peu partout, dans les cours des maisons. Ce sont des pratiques qui favorisent la multiplication des moustiques », se désole la Directrice du Projet de Renforcement du Paquet d’intervention à Haut Impact Communautaire dans la zone sanitaire Djougou-Copargo-Ouake (DCO) et Bassila à SIA N’SON ONG.
Ces différentes pratiques expliquent les pics que l’on enregistre dans les centres de santé et hôpitaux en saison pluvieuse. Au Bénin, en 2020, 2.289.948 cas de paludisme dont 2.450 cas de décès ont été enregistrés. Pour la même année 2020, son incidence (proportion de nouveaux cas) dans la population générale est de 18,8%. Selon le médecin-pédiatre, Dr Pierre Roland Agossou de la clinique Saint Vincent de Paul, un des artisans de la lutte connu dans le secteur privé, « On ne peut pas faire la lutte contre le paludisme et occulter le volet hygiène et assainissement ». C’est la raison pour laquelle, le Plan national de développement sanitaire 2018-2022, a retenu la promotion de l’hygiène et de l’assainissement de base comme l’un des axes d’intervention du 4e Objectif spécifique relatif à la prévention et la lutte contre les maladies. Dans ce document de planification, plusieurs actions prioritaires ont été aussi consignées pour être mises en œuvre. Il s’agit entre autres, du renforcement de la gestion des déchets, la mise en place d’un mécanisme de coordination multisectorielle opérationnelle en faveur de l’hygiène et de l’assainissement de base et le développement d’un mécanisme d’implication et de participation active des populations en matière de l’hygiène et de l’assainissement de base. Mais sur le terrain, si des actions sont entreprises pour améliorer le cadre de vie des populations, elles sont loin de combler les attentes des acteurs du combat contre ce véritable fléau.
L’assainissement du cadre de vie, une mesure préventive négligée
Les défis du Bénin en matière d’assainissement du cadre de vie sont encore énormes. Selon l’Enquête Démographique de Santé (EDS) réalisée en 2017, 87% des ménages au Bénin continuent toujours d’utiliser des installations sanitaires considérées comme non améliorées. Plus d’un ménage sur deux (54%) n’utilisent pas de toilettes et seulement 12.8% des ménages utilisent des toilettes améliorées et ce pourcentage est de 22% en milieu urbain contre 6% en milieu rural.
En ce qui concerne les eaux usées, leur évacuation dans la nature ou dans la cour des maisons est une situation largement répandue. Selon les résultats de l’enquête EDSB-IV dans la majorité des cas, les eaux usées sont jetées dans la nature, à l’extérieur des concessions (71%) et/ou dans la cour (17%), soit un taux de rejet dans l’environnement immédiat sans traitement préalable de 88%, auquel s’ajoute les 8% des ménages qui rejettent les eaux usées dans des caniveaux (ouverts ou fermés) ou dans les égouts.
Si la création en novembre 2018 de la Société de Gestion des Déchets et de la Salubrité Urbaine du Grand Nokoué (SGDS-GN SA) a permis d’améliorer la gestion des déchets solides ménagers dans les communes de Porto-Novo, Sèmè-Podji, Cotonou, Abomey-Calavi et Ouidah, le profil sanitaire et épidémiologique du Bénin est marqué par des taux relativement importants de morbidité et de mortalité (68%) liés à une prépondérance des maladies transmissibles ou non et à la vulnérabilité de la couche infanto-juvénile. « Nous sommes dans un environnement où la lutte contre la multiplication des moustiques est difficile. Cela nécessite assez de moyens. Il faut par exemple que les marécages, les eaux stagnantes sur les voies disparaissent. Quels moyens et combien de temps sont nécessaires pour y parvenir ? Ce n’est pas dans un futur proche », se désole un agent de la santé très averti de la lutte contre cette maladie infectieuse.
Loin de perdre espoir, certaines actions menées par des ONG sur le terrain, permettent de renforcer les actions de lutte. C’est le cas de l’ONG SIA N’SON qui dans le cadre de ses interventions dans le département de la Donga, avec l’appui financier de l’USAID pour la mise en œuvre du projet ‘’Renforcement de la mise en œuvre du paquet d’intervention à haut impact au niveau communautaire’’ organise annuellement et surtout en saison pluvieuse, une campagne de destruction mécanique des gîtes larvaires. Une opération adoptée par les communautés dans plusieurs villages qui décident désormais de maintenir les bonnes pratiques d’assainissement du cadre de vie. Mais pour l’heure, en zone rurale, ces actions restent isolées et leurs impacts encore limités. En zone urbaine, les acteurs de la lutte saluent l’avènement du projet d’asphaltage de la voirie urbaine qui depuis 2018, a permis d’améliorer le cadre de vie des populations des communes bénéficiaires. Même si les impacts de ce projet qui est à sa 2e phase sur le recul de la prévalence du paludisme restent à vérifier, tous les acteurs de la lutte sont unanimes pour reconnaitre que les populations poussent un ouf de soulagement. Selon Dr Pierre Roland Agossou qui félicite le gouvernement pour ce projet, certaines populations habitant près des routes asphaltées témoignent déjà de l’amélioration de leur situation de vulnérabilité par rapport aux moustiques.
Seulement, regrette Mme Alimatou Coulibaly, « la plupart des actions sont souvent concentrées dans les grandes villes et on a l’impression que les zones rurales sont un peu oubliées ». Face aux graves problèmes d’assainissement que connaissent ces zones rurales, elle lance un appel pour une intensification des interventions dans les milieux ruraux. En attendant que ce cri de cœur soit entendu, les acteurs ne manquent pas de renouveler leur engagement et de redoubler d’efforts pour arrêter le péril humain.