Gestion de l’Hygiène Menstruelle dans les écoles au Bénin : Un chemin de croix pour les jeunes filles

Dans les collèges et établissements d’enseignement général, l’accès aux toilettes pour les garçons comme pour les jeunes filles constitue un véritable casse-tête. Mais, les jeunes filles souffrent davantage de l’insuffisance et du manque de toilettes adéquates pour gérer convenablement leurs menstrues lorsqu’elles surviennent. En dehors des actions isolées de quelques Organisations Non Gouvernementales, la Gestion de l’Hygiène Menstruelle (GHM) reste une problématique pas suffisamment connue et prise en compte au plan national. Pendant ce temps, dans les écoles, les jeunes filles sont chaque fois dans l’angoisse et le désarroi chaque fois que ce moment arrive.

Au Collège d’enseignement général d’Ekpè situé dans la commune de Sèmè-Podji à 35 km de la ville de Cotonou, les toilettes sont en nombre insuffisant. Avec un effectif d’environ 6.000 élèves dont 3500 jeunes filles, seulement deux blocs comprenant chacun 8 cabines sont disponibles pour les élèves. Et sur les 2 blocs, un seul est utilisable pour les élèves.  Le second bloc est fermé. Car, sa toiture a été détruite et est en cours de rénovation actuellement. Contrairement aux professeurs et autres membres de l’administration qui disposent des toilettes sanitaires, garçons et jeunes filles se bousculent devant les cabines chaque fois que le besoin se fait sentir. Mais pour les jeunes filles, les toilettes ne sont pas fréquentables compte tenu de leur mauvais état de propreté. « Je n’utilise pas les toilettes de mon collège, parce qu’elles ne sont pas propres et, en plus, elles n’ont pas de porte », raconte une jeune élève visiblement scandalisée par cette situation. Elle ajoute « je fais tous mes besoins avant de quitter la maison. Je prends mes dispositions. Si je viens à l’école, je ne bois pas trop d’eau et je ne mange pas beaucoup pour ne pas avoir à faire mes besoins à l’école ».

Ainsi, si la situation est moins préoccupante pour les garçons qui se débrouillent, en période de menstrues, leurs camarades filles vivent dans l’angoisse. Elles sont condamnées à inventer des stratégies pour éviter de fréquenter les toilettes de leur collège. « Quand j’ai mes menstrues, je ne saigne pas beaucoup. Donc, si je m’habille le matin, même si j’ai cours de 7h à 19h, je prends mes dispositions, ça ne touche pas mon kaki », confie A. Imelda. Sa camarade qui visiblement n’approuve pas cette façon de faire signale : « Lorsque nous sommes en menstrues, on peut sortir de l’établissement pour aller dans les maisons à côté de l’école ». Mais, la plupart prennent souvent la décision de quitter les cours, le temps des menstrues et de ne revenir qu’à leur fin. « On est obligées de sécher les cours pour aller à la maison se changer avant de revenir ». « Parfois, quand je suis au cours et je sens que je suis tachée. Je demande la permission et je ne reviens plus. C’est quand je finis mes menstrues que je reviens. C’est là que je rate les cours. Je saigne beaucoup. Par jour, je change 6 à 8 serviettes », nous raconte S. Sidonie très préoccupée par cette situation qu’elle juge insupportable.

Le Surveillant général du CEG Agblangandan, Abd-El Azi Abdoulaye, un autre collège situé dans la commune de Sèmè-Podji, confirme que plusieurs jeunes filles demandent souvent l’autorisation de quitter les cours pour faire face à leurs menstrues. «Nous enregistrons souvent des cas où la fille vient demander la permission pour rentrer se changer ou bien pour prendre des soins parce que les menstrues les surprennent », signale-t-il.

Insupportable pour plusieurs jeunes filles, elles n’ont pourtant, pour le moment, aucune alternative. Car, dans presque tous les collèges, surtout publiques, la problématique de la gestion de l’hygiène menstruelle n’est pas encore prise en compte dans les établissements scolaires.

Pourtant, le manque de toilettes propres et adéquates pour la gestion des menstrues, a des conséquences au plan sanitaire pour les jeunes filles. « Lorsqu’on passe plus de temps avec une serviette quand on est en menstrues, ça peut entraîner des infections », explique la technicienne en hygiène et assainissement au bureau de zone Cotonou II et III, Hermine Kouton. Elle ajoute qu’après 5 heures de temps au maximum et chaque fois que la fille sent qu’elle est mouillée, elle doit changer de serviettes. Mais pour l’heure, ces jeunes filles élèves de nos collèges et lycées attendent désespérément des solutions de leurs chefs d’établissement qui ne viennent pas. « Je ne pense pas qu’aujourd’hui le système éducatif pourra accorder une ressource à temps pour l’entretien particulier des toilettes », nous explique Olga Tchoskova, directrice du CEG Agblangandan, une des rares femmes chef d’établissement. « A chaque établissement et à chaque administration de savoir ce qu’il faut faire », ajoute-t-elle. Au collège d’Akpro-Missérété, l’établissement a trouvé sa propre stratégie pour rendre les toilettes propres pour les élèves. « C’est vrai que par le passé, les toilettes sentaient mauvais. Les enfants urinaient n’importe comment et il y avait des papiers partout. Depuis deux ou trois ans, nous avons changé cette situation en créant des groupes de nettoyage de deux élèves par cabine », nous informe Samuel Agossou, directeur du CEG 1  Akpro-Missérété. Mais, même avec cette solution de nettoyage, les toilettes restent insuffisantes puisque pour ce collège, il y a six cabines de toilettes pour quarante groupes pédagogiques à la fois, soit près de 1000 élèves.  

Un état des lieux préoccupant, une problématique pas assez connue

Au Bénin où plus de 51% de la population estimée à 11 millions sont composés de femmes, l’ampleur du phénomène et son impact ne sont pas connus avec précision. On estime que les menstrues sont en partie la cause du taux moyen national de 11% d’abandon des classes par les filles entre 2012 et 2015 surtout que ces abandons sont observés en fin de cycle du primaire (PASEC 2016 Performance du Système Educatif Béninois). En communauté, la femme béninoise en menstrues est considérée comme impure et donc soumise à toutes sortes de tracasseries allant jusqu’à l’isolement forcé et l’exclusion des activités sociales élémentaires notamment en milieu rural.

En 2016, une étude réalisée par Catholic Relief Service (CRS), une ONG américaine au Bénin, a révélé que la problématique de la gestion de l’hygiène menstruelle constitue un enjeu de développement pour le simple fait qu’elle est facteur d’exclusion ou de retard des filles dans le système éducatif et l’aliénation des femmes du fait des croyances séculaires néfastes. En 2017, une enquête réalisée dans trois communes (Adjarra, Avrankou et Porto-Novo) très peuplées (au sud-est du Bénin), par la Fondation Claudine Talon (FCT), a montré que 15,2% des filles manquent les classes à cause des menstrues pour raison de malaises (69%) ou parce qu’elles sont la risée de leurs camarades (28,5%). Si quelques organisations non gouvernementales ont réalisé des études pour leurs propres interventions, au niveau national, il n’y a pas encore d’étude de référence.

Des actions isolées et non coordonnées au niveau national

Face à la problématique, les ONG pour la plupart internationales mènent chacune des actions de réponse mais qui restent éparses. « A dire vrai, le Bénin est encore en retard par rapport à cette problématique parce qu’il n’y a pas de position officielle. Une bonne partie des ONG qui interviennent le font de façon isolée », regrette le Coordonnateur national du Wsscc, Félix ADEGNIKA. En dehors de l’ONG Catholic relief service qui a commencé à intégrer la gestion de l’hygiène menstruelle dans ses interventions, l’Unicef à travers une approche intégrée prend en compte la gestion de l’hygiène menstruelle au niveau des aspects de l’adolescence, la nutrition à travers la construction des latrines, des points d’eau en milieu scolaire.

Actuellement,  la Fondation Claudine Talon (https://fondationclaudinetalon.org/index.php/la-gestion-de-lhygiene-menstruelle-pour-les-filles/ est très active sur la problématique.  Après un état des lieux qui a révélé une absence de données, l’étude réalisée au niveau de 3 communes du Bénin a conduit au ciblage des classes de CM1 et CM2 du cours primaire et toutes les classes des collèges pour plusieurs actions : sensibilisation,  construction et entretien des infrastructures scolaires, sanitaires et d’hygiène. Grâce à ces actions,  les jeunes filles des zones d’intervention cibles de la Fondation sont mieux informées sur la gestion des menstrues, l’hygiène menstruelle et près de 1.558 élèves ont bénéficié de 3116 kits distribués. Elle envisage l’installation d’une unité de production de serviettes hygiéniques 100% coton biologique au Bénin. Dans le cadre du Programme d’amélioration de l’accès à l’Assainissement et des Pratiques d’Hygiène en milieu Rural (PAPHyR), la responsable du programme, Yadjidé Adissoda Gbèdo, indique que le programme est en train d’introduire  progressivement la gestion de l’hygiène menstruelle dans ses interventions.

Mais, pour le Chef service Hygiène et Assainissement de Base au Ministère de la santé, Dr Akibou OSSENI, qui rappelle que la problématique est prise en compte dans la Stratégie Nationale de Promotion de l’Hygiène et de l’Assainissement de Base (SNPHAB) 2019-2030, « ces actions restent insuffisantes parce qu’il y a des défis liés au renforcement de la coordination des actions au niveau central, l’élaboration d’une stratégie nationale permettant d’orienter et d’encadrer les interventions des acteurs impliqués dans la promotion de la GHM et la constitution d’un pool de formateurs nationaux pour la GHM ».

La bonne gestion de l’hygiène menstruelle est importante pour la santé, l’éducation et l’épanouissement de la jeune fille à l’école (Photo: R.A)

Une stratégie nationale vivement attendue

Pour répondre à l’appel des acteurs, le wsscc a organisé du 23 au 25 mai 2019, un dialogue des partenaires qui a mobilisé tous les partenaires, les ministères de la santé, des affaires sociales et des enseignements primaire et secondaire, les ONG nationales et internationales. « Ce dialogue nous a permis de faire une cartographie des interventions et des actions en cours mais aussi d’envisager les perspectives pour la GHM », soutient l’ancien Chef service devenu Directeur de l’Hygiène et de l’Assainissement de Base au sein de l’Agence nationale pour les soins de santé primaire, Dr Sakibou OSSENI. Qualifié d’historique dans le sous-secteur de l’Hygiène et de l’Assainissement de Base par le Directeur du cabinet du Ministère en charge de la santé, Pétas Enagnon AKOGBETO, le dialogue a surtout débouché sur une feuille de route succincte et réaliste. Mais pour l’heure, seule la formation des formateurs a été organisée du 12 au 16 octobre 2020 avec le soutien du Wsscc juste avant sa transformation en Fonds pour l’hygiène et l’assainissement. Cette session a permis à notre pays de disposer d’un noyau de formateurs désormais aguerris pour renforcer les capacités des acteurs désireux d’intervenir sur le terrain. Elle a aussi débouché sur de fortes recommandations dont le partage d’informations avec les apprenants dans les écoles et la mise à disposition des kits aux jeunes filles dans les écoles pour leur prise en charge.  Pour le Coordonnateur national du Wsscc, Félix Adégnika, le souhait des acteurs est que l’Etat puisse prendre conscience de cette problématique pour pouvoir l’intégrer dans son agenda de développement pour l’atteinte de l’ODD6.2. Mais, le ministère de la santé rassure quant à la mise en œuvre des recommandations. « Avec l’aide des partenaires, nous pensons lancer un mouvement national d’éveil et de mobilisation en faveur de la GHM porté par la jeunesse pour faire tomber les tabous et les résistances », martèle Dr Sakibou OSSENI. Si le dialogue des partenaires et la formation des formateurs ont contribué à ouvrir les yeux et réveiller les consciences par rapport à cette problématique, les acteurs dans leur ensemble, attendent toujours, l’élaboration de cette stratégie ou directive nationale pour engager ce mouvement attendu de tous pour le bien-être et l’épanouissement des jeunes filles dans les écoles.

Originaire du Bénin en Afrique de l’ouest, Alain TOSSOUNON est journaliste depuis plus d’une quinzaine d’années. Rédacteur en Chef puis Directeur de rédaction de l’hebdomadaire spécialisé dans la décentralisation et la gouvernance locale « Le Municipal », il a suivi et validé plusieurs certificats en gestion des ressources naturelles (Université Senghor d’Alexandrie) et en eau avant de passer grand reporter sur les thématiques de l’eau, l’hygiène et l’assainissement de base et l’environnement.
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