Chris Williams, Directeur exécutif du Wsscc : « Je suis optimiste que dans les quinze prochaines années, les gouvernements en Afrique fassent des investissements efficaces pour mettre fin à la défécation à l’air libre »

Rencontré au cours de la 4ièmeConférence africaine sur l’assainissement de Dakar, le Directeur  exécutif du Conseil de concertation pour l’assainissement et l’approvisionnement en eau (Wsscc), Chris Williams, nous a accordé un entretien sur l’avenir de l’assainissement en Afrique. Revenant sur l’importance de l’approche Community Led Total Sanitation (CLTS) et les résultats intéressants qu’elle permet d’obtenir dans les pays ou le programme du Fonds mondial pour l’assainissement (GSF) est mis en œuvre, il insiste dans cet entretien sur l’utilisation efficace des fonds publics et la nécessité d’inclure l’hygiène menstruelle dans le combat contre la défécation à l’air libre en Afrique.
Chris Williams, Directeur exécutif du Wsscc

Plusieurs pays  ne seront  pas au rendez-vous des OMD dans le secteur de l’hygiène et de l’assainissement. Selon vous, quelles sont les raisons de ce retard qu’accuse l’Afrique dans un secteur aussi important qu’est l’assainissement ?
L‘assainissement est l’un des objectifs malchanceux puisque dans plusieurs pays, il n’a pas été atteint. La question est de savoir  pourquoi  plusieurs pays n’ont pas réussi à réduire de moitié le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’assainissement de base et à l’hygiène. Je pense que la raison principale de cet échec est qu’il n’y a pas eu d’investissements publics importants en matière d’assainissement. Aussi, le type d’investissement que nous avons eu a été inefficace. Il y a eu donc deux problèmes: l’investissement et son utilisation. Alors, concernant l’investissement, il y a des chiffres qui nous interpellent par rapport aux engagements pris à la précédente conférence sur l’assainissement. Maintenant,  nous sommes ici à nouveau pour une autre rencontre sur l’assainissement en Afrique, avec le privilège d’être au Sénégal.
Il est à souhaiter que la mauvaise utilisation des ressources ne se reproduise plus. Parce que je pense que cela a été un énorme problème et beaucoup d’efforts ont été déployés à l’échelle mondiale ainsi qu’en Afrique et dans les différents pays pour ensemble tenter d’orienter les financements dans l’assainissement. Ceci continue d’être un défi. Je pense qu’il y a des façons d’accroître les investissements publics. Le deuxième problème est l’utilisation des fonds. L’assainissement dans le monde rural est un domaine où il y a un grand besoin d’identification du problème. Plusieurs gouvernements et ONG pensent bien construire des toilettes pour les populations. Ils essayent d’appliquer l’approche par subvention directe dans l’assainissement mais cela se révèle inefficace puisque les gens ne  changent pas de comportements. Les gens ne comprennent pas l’importance de l’assainissement. Ils ne font pas le lien entre l’assainissement et leur santé,  l’hygiène et leur dignité. Et, je pense que cette approche regorge des dispositions pour améliorer l’assainissement au niveau des villages. De même, la subvention du gouvernement est très coûteuse et peu  de personnes peuvent seulement en bénéficier si le pays entier exprime la nécessité ou le besoin d’une amélioration de la situation de l’assainissement. Nous savons bien que les ressources du gouvernement ne sont pas trop efficaces parce qu’elles n’atteignent pas  souvent certaines populations.  Ce qui pose la question de la discrimination. Parce qu’il se trouve toujours des personnes qui n’ont pas reçu la subvention. Deuxièmement, les gens sont très disposés à faire des investissements dans le monde de l’assainissement en particulier pour mettre fin à la pratique de la défécation à l’air libre. C’est un investissement communautaire et le changement que le programme GSF avec certains gouvernements en Afrique nous permet de constater est que ces gouvernements ne donnent plus des subventions directes, et ils se rendent compte que la meilleure façon de bien gérer les fonds, l’investissement public, est de promouvoir les campagnes de sensibilisation d’assainissement et d’hygiène sur les lieux de travail et dans les villages. Puis partout où ils sont en mesure de sensibiliser les gens en mettant en exergue la relation entre l’assainissement et la santé de façon à réduire la transmission des maladies. Cela généralement  se fait dans chaque ménage et surtout dans les communautés pratiquant  la défécation à l’air libre. Cette campagne a été efficace dans plus de neuf (9) pays où nous travaillons, plus de sept millions (7 000 000) de personnes ont adopté cette approche et nous nous attendons à plus de vingt millions (20.000.000) de personnes dans les deux prochaines années. Donc, c’est une approche qui marche et la plupart des gouvernements se rendent maintenant compte que c’est  le moyen le plus efficace pour parvenir à une fin de défécation à l’air libre pour atteindre le résultat attendu. Donc, avec ce changement, il faut penser à comment utiliser les fonds publics pour des subventions directes qui auront un impact sur très peu de gens et une  approche communautaire (CLTS) qui affecte  des millions de personnes. Ainsi, c’est le changement de politique que nous voyons auprès de 30 gouvernements. Je suis optimiste que dans les quinze prochaines années, les gouvernements fassent des investissements efficaces pour mettre fin à la défécation à l’air libre. Maintenant, je viens d’expliquer la différence dans l’utilisation des fonds publics et comment ils doivent être utilisés efficacement. Je pense que la plupart des pays sont intéressés à changer la façon dont ils utilisent les ressources publiques limitées. Mais là encore, il y a un besoin d’investissements publics et un changement de cap doit intervenir. Pour cela, nous devons inviter les premiers ministres, les cabinets ministériels et parlementaires à prioriser  les investissements dans l’assainissement, afin qu’il y ait plus de ressources pour la sensibilisation des communautés pour l’éradication de la défécation  à l’air libre.
A vous écouter et tenant compte des résultats obtenus dans certains pays comme bien Madagascar; le Bénin, le Togo et d’autres pays. À votre avis, est-ce que l’ATPC est la solution d’avenir pour le combat efficace contre la défécation à l’air libre n Afrique ?  

Oui, c’est la solution. L’ATPC (ou le CLTS)  est la solution de l’assainissement au niveau rural. L’APTC est l’approche, mais comment la rendre fonctionnelle et efficace? Telle est la question. L’enjeu, c’est comment utiliser la méthode de l’ATPC et l’appliquer à la gestion des centaines de ménages dans un pays. Là est la question. A Madagascar, les acteurs ont trouvé la solution de contextualiser et de l’adapter  pour atteindre de centaines de ménages en trois ans et demi. Il y a soixante-dix mille villages dans le pays et dans les trois dernières années et demi, ils ont pu mettre fin à la défécation à l’air libre dans vingt mille villages. Donc la question est de savoir comment  sont-ils arrivés à le faire?  Chaque pays peut avoir  une méthodologie différente, mais cela nécessite de travailler directement avec le gouvernement central pour obtenir un peu de soutien du président,  du premier ministre ou des parlementaires. Le deuxième point est de développer une approche au niveau de la communauté. Une approche qui rassemble et sensibilise l’ensemble de la communauté et, un troisième point est de travailler avec les autorités gouvernementales locales pour faire en sorte que les autorités gouvernementales locales facilitent la discussion d’un village à l’autre de sorte que les approches et les bonnes pratiques dans un village puissent rapidement atteindre un autre village. Le quatrième point  est l’après ATPC lorsqu’un quartier ou un village est déclaré exempt de la défécation a l’air libre. Ainsi,  il faut faire en sorte d’obtenir l’attention et le soutien des parlementaires, des autorités gouvernementales et locales afin qu’ils deviennent sensibles aux services importants et qu’ils deviennent même la priorité des priorités. Un cinquième point résulte des leçons tirées de l’expérience de Madagascar qui est le suivi. Habituellement, une communauté peut être déclarée exempte de la défécation à l’air libre, mais elle doit poursuivre la pratique de changement de comportement au fil du temps pour que le résultat soit durable. Ainsi, la méthodologie utilisée prend en compte les autorités locales gouvernementales et des leaders naturels, les gens qui sortiront des villages qui sont devenus champions de l’assainissement et de l’hygiène locale.

Pour finir cette interview, est-ce que selon vous le CLTS ou l’ATPC est l’unique solution ou il faut ajouter quelque chose, de sorte que nous ayons  un accès de tous à l’assainissement dans toute l’Afrique d’ici 2030?

Lorsque nous parlons de la défécation à l’air libre, nous parlons de l’assainissement, de l’hygiène dans le pays entier. Nous ne pouvons pas nous limiter aux ménages, nous parlons des écoles, de la planification de la santé, des centres de formation, des petites villes comme des grandes villes, ce sont donc des nécessités qui ne sont pas limitées à l’ATPC. En plus de l’ATPC, il doit y avoir un engagement institutionnel pour les écoles, les parents, les associations d’enseignants avec les organisations internationales qui d’abord nous soutiennent avec les gouvernements. C’est donc la preuve qu’il faut une sensibilisation au niveau local. Donc, cela nécessite des approches différentes qu’il faut  élaborer en plus de l’ATPC. Dans le cas de la planification de la santé, il s’avère indispensable pour les ministères de la santé de se concentrer sur la qualité de l’assainissement et de l’hygiène en milieu rural. Souvent, la planification mondiale de la santé ne prend pas suffisamment en compte les installations de l’hygiène de l’eau et l’hygiène sanitaire de base. Donc, il y a des risques en matière de santé sexuelle et reproductive mais aussi la santé infantile et maternelle. C’est très important pour les institutions de santé. Dans les centres de formation et dans les villes aussi, nous ne devons pas seulement être préoccupés par l’accès à l’assainissement et l’hygiène, mais nous devons nous demander où vont les déchets? Quelle est la stratégie de gestion des déchets? Comment la ville gère-t-elle l’élimination des déchets ? Quelle est la gestion efficace des produits des déchets? Donc, je pense que ce sont des domaines où l’ATPC seule ne pourrait être utilisée et cela peut ralentir le processus. Mais, il faut une combinaison avec d’autres approches pour atteindre tous ces domaines et toutes les populations. En outre, je pense que l’ATPC est adaptable, elle n’est pas statique et la méthodologie s’améliore avec le temps. Une forme d’amélioration est d’être beaucoup plus sensible aux besoins des hommes et des femmes et en particulier des adolescentes. Les adolescentes peuvent être confrontées à divers défis de l’assainissement et l’hygiène pendant la période de grossesse, des menstruations où elles ont besoin de l’eau potable et de l’hygiène.
Elles ont besoin de bons dispositifs d’hygiène d’une importance directe pour leur sécurité. Cela leur permet de gérer le processus de la menstruation chaque mois à l’école où elles vont travailler mais aussi à la maison. Donc, je pense que l’accent doit être mis sur l’identification de l’hygiène dans son sens global pour inclure l’hygiène menstruelle. Nous y travaillons en étroite collaboration non seulement avec un programme favorisant l’ATPC mais aussi des programmes qui sont en partenariat avec les femmes des Nations Unies qui travaillent en Afrique de l’ouest y compris le Cameroun, le Niger, et le Sénégal. J’espère que le ministre du Niger et celui du Sénégal qui participent à la conférence africaine sur l’assainissement mis à part les délégués avec lesquels nous échangeons vont nous écouter. D’abord, nous allons commencer à aborder le problème en brisant les tabous puis parler des moyens sûrs pour la gestion de la menstruation des femmes, ensuite une gestion saine des produits d’hygiène. Ensuite, nous espérons que les expériences que nous promouvons avec des femmes des Nations Unies, avec l’UNFPA avec le gouvernement du Sénégal, avec de nombreuses organisations de femmes dans ces pays, nous permettront à nouveau de faire des innovations, de faire des expériences et de rassembler autour de cette approche qu’est l’ATPC ou le CLTS, des hommes et des femmes.
Originaire du Bénin en Afrique de l’ouest, Alain TOSSOUNON est journaliste depuis plus d’une quinzaine d’années. Rédacteur en Chef puis Directeur de rédaction de l’hebdomadaire spécialisé dans la décentralisation et la gouvernance locale « Le Municipal », il a suivi et validé plusieurs certificats en gestion des ressources naturelles (Université Senghor d’Alexandrie) et en eau avant de passer grand reporter sur les thématiques de l’eau, l’hygiène et l’assainissement de base et l’environnement.
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Un commentaire pour “Chris Williams, Directeur exécutif du Wsscc : « Je suis optimiste que dans les quinze prochaines années, les gouvernements en Afrique fassent des investissements efficaces pour mettre fin à la défécation à l’air libre »

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